#1 - Quel contrat social dans l'Union ? Réflexions sur la répartition des avantages et charges
25 mai 2023, Aix-Marseille Université et Sciences Po Aix
Coordination scientifique : Estelle BROSSET, Claire MONGOUACHON et Nathalie RUBIO (Aix-Marseille Université)
Les actions et les politiques de l'Union européenne ont d'indéniables effets de redistribution non seulement entre États membres et régions d'Europe mais aussi au sein de chaque État membre, entre groupes sociaux, territoires, genres ou catégories. Les textes européens (le traité comme les textes de droit dérivé) fourmillent de mécanismes et autres formules prévoyant le partage d’ avantages et de charges, suivant des critères variés (population, PIB, critères sociaux…), entre les États. Les décisions de justice de la Cour de justice de l’Union ont également sans aucun doute des impacts (re)distributifs qui consolident voire, selon les politiques, corrigent les formules prévues dans les textes.
Certes, ces formules ne sont pas nouvelles.
C’est le cas du côté des « avantages ». Dès sa naissance, la politique agricole commune s’est vu assigner l’objectif d’atteindre « un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture » et en particulier les plus démunis. De même, de nombreux fonds ont été créés depuis 1957 qu’ils concernent la politique de cohésion (FEDER, FSE, Fonds de cohésion et plus récemment le Fonds pour une transition juste) ou d’autres politiques comme le développement rural (FEADER), la politique de la pêche (FEAMPA) ou la politique migratoire (FSI, FAMI et IGVF).
C’est aussi le cas de la répartition dite des « charges ». Dans le domaine de l’asile, l’article 80 TFUE prévoit que le principe de partage équitable de responsabilités entre les États membres doit régir la politique de l’Union et les textes -actuels et à venir- établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ont vocation précisément à tenter de donner corps à ce principe. Dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, là aussi, depuis quinze ans, la logique de la « répartition de l’effort » de réduction des émissions de gaz à effet de serre est inscrite dans le droit de l’Union et déployée encore davantage via la création du Fonds pour une transition juste.
Si ces dispositions et mécanismes sont anciens, ils se sont encore multipliés avec la crise générale que traverse l'Europe (économique, migratoire, sanitaire, environnementale) : dans un contexte de vulnérabilité, aggravée pour certains États membres et groupes sociaux, et d’interdépendance, ont été mis en place des dispositifs de crises à visée clairement de mutualisation- redistribution. C’est le cas, dans le cadre du plan « Next Generation EU » du financement de la reprise et la résilience dans chaque État. Abondé par une dette commune, le financement se réalise suivant trois critères : population, produit intérieur brut par habitant et taux de chômage. Cela a été aussi le cas, non sans crispation, pour l'attribution de vaccins, achetés suivant des passations conjointes de marché communes puis distribués selon une clé de répartition, en fonction de la taille de la population, dans chaque État. La crise énergétique devrait également donner lieu à de telles formules de mise en commun puis répartition.
L’un des axes de recherche du GIS Eurolab est de favoriser les études portant sur les conséquences redistributives des politiques européennes et sur ces mécanismes de répartition des avantages et des charges institués par l'Union. L’atelier organisé à Aix-en-Provence le 25 mai 2023 constituera le premier jalon pour de futurs réflexions et projets interdisciplinaires.
Parce que le chantier est vaste, 4 thèmes seront privilégiés dans l’atelier :
- Santé/environnement
- Migration
- Cohésion économique et sociale
- UEM et politique budgétaire
Il s’agira d’identifier les questions de recherches pertinentes pour la communauté des chercheurs, du côté de la science politique, du droit, de l’économie, de la sociologie ou de l’histoire avec, à terme, l’objectif de disposer d'outils critiques pour recenser ces mécanismes et en permettre l’évaluation.
Ainsi, il sera utile d’étudier en détails certaines formules prévues dans les textes et illustrant -sur un temps long- cette logique de la répartition. La mise au jour des effets distributifs des raisonnements de la Cour de justice de l’Union pourrait également être utile.
Par ailleurs, il sera utile de s’interroger sur les critères de répartition retenus : peut-on, derrière des équations nombreuses et complexes, identifier des critères récurrents ? Ces critères (par exemple celui du PIB) sont-ils pertinents ? Peut-on les appréhender (ou non) comme des critères de justice ? Comment les articuler avec le développement d’une politique de la conditionnalité fondée sur des critères propres et différents ?
Enfin les effets d’une telle logique devront être questionnés. L'aspiration à une meilleure répartition des ressources ne va-t-elle pas contribuer au développement de la différenciation au sein de l’Union ? N’y a-t-il pas là un risque de remise en cause du principe d'égalité entre les États et de fragmentation dans l’application du droit de l'Union européenne ? Par ailleurs, si le principe de répartition des avantages et charges découle sans aucun doute d’exigences de solidarité et d’équité, il reste à savoir comment articuler ce principe avec l’attribution de statuts et de droits. Enfin ce principe n’implique-t-il pas de renforcer le pouvoir de l’Union de mobiliser des ressources de manière obligatoire et donc de lui transférer des compétences en matière fiscale ? Plus fondamentalement, quels liens entre ces mécanismes et le pouvoir et la légitimité dont bénéficie l’Union ?