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Retour sur ... le séminaire "Actualité de la recherche" #7

Mardi 10 octobre 2023, le séminaire “Actualité de la recherche” du GIS Euro-Lab effectuait sa rentrée. Animé par Ségolène BARBOU DES PLACES, directrice adjointe du GIS, cet événement qui vise à croiser les regards disciplinaires a accueilli Morgane LE BOULAY (ingénieure de recherche CNRS au laboratoire SAGE - Unistra et membre du bureau du GIS Euro-Lab), pour la présentation de son ouvrage discuté par Yannick GANNE (Professeur de droit public à l’Université de Picardie Jules Verne).

 

Issu de la thèse en science politique et en histoire contemporaine soutenue par son autrice en 2014 sous la direction de Dominique Damamme (Université Paris-Dauphine PSL) et Harmut Kaelble (Humboldt-Universität de Berlin), La fabrique de l’histoire de l’Europe. Un domaine de recherche entre savoir et pouvoir depuis 1976 en France, en Allemagne et au-delà se situe au croisement de la sociologie politique de l’Europe et de la sociologie des savoirs. Il étudie les conditions de la constitution et la structuration d’un sous-champ de recherche, l’histoire de l’Europe.

L’ouvrage de Morgane LE BOULAY se concentre sur les entreprises collectives relatives à l’histoire de l’Europe depuis 1976, année de création de l’EUI à Florence. Pour interroger son objet, l’autrice adopte une perspective franco-allemande à même de questionner l’articulation entre ces deux territoires ainsi qu’entre les espaces nationaux et internationaux. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée d’une accélération de la recherche sur le sujet depuis une vingtaine d’années.

Pour Morgane LE BOULAY, un nouveau sous-champ consacré à l’histoire de l’Europe apparaît à la croisée des mondes politique et scientifique entre 1976 et la fin des années 1980, organisé autour de deux pôles : l’un consacré à l’histoire politique et économique de l’intégration européenne incarné par le Groupe de Liaison, qui interagit avec les institutions européennes ; l’autre dédié à l’histoire sociale et culturelle de la civilisation européenne, incarné par des médiévistes et des modernistes dont les projets sont freinés faute de soutien politique et financier. Ce sous-champ concerne alors un faible nombre d’historiens aux ressources spécifiques, dans lequel l’histoire de l’intégration européenne va réussir à s’imposer malgré la position fragile de ses historiens dans les espaces nationaux. Il va rapidement connaître des reconfigurations dès la fin des années 1980 dans un contexte d’évolutions et de bouleversements au sein de l’Europe. Le sous-champ devient alors plus hétérogène et plus facile d’accès à des nouveaux entrants désormais sans ressources spécifiques ; l’histoire de l’intégration européenne perd son hégémonie et les promoteurs institutionnels se diversifient. Les années 2000 vont à leur tour emmener de nouvelles reconfigurations à travers la montée en puissance de systèmes de financement européens, l’essor des politiques mémorielles et des controverses publiques et un renouvellement des perspectives de recherche marqué par une distanciation croissante à l’égard de l’histoire qui se revendique comme “européenne”. L’histoire de l’intégration européenne se renouvelle également, notamment en lien avec un changement des équilibres politiques au sein de la Commission Européenne. Avec La Fabrique de l'histoire de l'Europe. Un domaine de recherche entre savoir et pouvoir depuis 1976 en France, en Allemagne et au-delà, Morgane LE BOULAY contribue à la sociologie des savoirs, confirmant notamment que la production scientifique ne relève pas seulement d’une activité intellectuelle, que la science historique est sensible au contexte politique et que les interactions entre acteurs académiques et extra académiques sont importantes. Elle contribue également à la sociologie politique de l’Europe et à l’étude de la singularité de sa construction symbolique et de la production de savoirs sur l’Europe, marquée par le caractère multiforme des études européennes.

Lecteur attentif issu du droit public, Yannick GANNE a souligné les résonances inattendues avec ses propres travaux, notamment consacrés à l’institutionnalisation des approches juridiques ouvertes aux sciences sociales dans les universités américaines. L’ouvrage de Morgane LE BOULAY dépasse selon lui le simple cadre de l’Europe et de l’histoire, puisqu’il témoigne de la mise en place d’un domaine de recherche (avec ses enjeux, ses implications, ses systèmes de financement, ses stratégies) à travers une analyse de “la science en train de se faire” (Bruno LATOUR) dépendante de facteurs à la fois internes et externes. La fabrique de l’histoire de l’Europe n’est pas un ouvrage de théorie des savoirs, mais une étude de cas venue illustrer et montrer la pertinence des résultats en sociologie des sciences. Un propos venu introduire un riche temps de débat entre les participant·es pour la suite de la séance du séminaire.

La Fabrique de l'histoire de l'Europe. Un domaine de recherche entre savoir et pouvoir depuis 1976 en France, en Allemagne et au-delà, Presses Universitaires de Rennes, Collection Res Publica, 2022

 

Rémi PASTOR